De l’usage du coaching comme outil d’influence
Le coaching est un outil d’influence
Seuls les outils inefficaces ne présentent pas de risques. Le coaching fait partie des outils d’influence des plus puissants, et les risques liés à son usage sont nombreux et proportionnels à sa puissance. On peut identifier quelques-uns des principaux risques en une liste non-exhaustive qui sera dans le futur à compléter avec les réflexions en cours dans les organismes professionnels.
Le coaching dans sa forme originelle est une technique très puissante qui a comme projet d’accompagner les dirigeants dans leurs manières de prendre des décisions (1) . Une technique qui pendant longtemps s’est adressée à une élite dans le projet d’offrir un miroir pour réfléchir (et c’est bien la fonction du miroir de réfléchir!). Le coaching était alors réservé aux dirigeants coaching de dirigeant).
Sa massification, sa banalisation a permis que se développent des « sauvageons » dans le sens premier du terme (2). Cela a ouvert la porte à de sérieuses dérives que les professionnels du métier tentent de recadrer au travers de leurs associations professionnelles.
La banalisation du coaching a transformé sa fonction. De coaching de réflexion il est devenu coaching de réparation : coaching orthopédique.
Et en même temps, cette banalisation a bien entendu amplifié les risques liés à cette pratique.
Quels sont les risques du coaching ?
Le risque de manipulation incontrôlable.
Ce risque existe dans la mesure ou la situation de coaching est, comme au confessionnal, un lieu protégé par un contrat de confidentialité qui ne peut pas faire l’objet d’un contrôle social en situation. Rien ne nous dit que le coach, dans l’intimité de la relation confidentielle fera ce qu’il dit qu’il ferait et respectera le contrat déontologique qu’il est supposé avoir signé s’il adhère à une association professionnelle.
La supervision des coaches montre souvent que les coaches croient sincèrement faire quelque chose mais en font une autre. Leur besoin d’avoir la preuve de leur compétence a tendance à influencer la relation dans le sens de ce qui les intéresse et de ce qu’ils sont capables de comprendre.
Le risque d’atomisation des relations
L’usage immodéré du coaching dans certaines entreprises peut entrainer un risque de voir les relations interindividuelles s’assécher. Si chacun solde ses difficultés avec son coach et satisfait son besoin d’être entendu dans l’intime de la relation de coaching, alors pourquoi aller se confronter à ses pairs ?
Coaching : Le risque de demande cachée
Le risque de subsidiarité non-contractualisée
Il n’est pas rare que la demande de coaching n’émane pas du destinataire, du « client final » mais de sa hiérarchie. Dans cette demande de la hiérarchie au coach il y a souvent quelque chose de l’ordre de : faite à ma place quelque chose que je ne sais pas faire que je ne (me) suis pas autorisé à faire ou que je ne veux pas faire.
Le risque de demande de réassurance du client.
La banalisation du coaching a correspondu précisément à cette période ou les grands collectifs organisateurs de l’idéologie dominante ont disparu dans leur forme visible (en gros autour de mai 68) Cette période où l’on a fortement conseillé aux individus de devenir responsable de leur avenir : soyez acteur de votre vie ! votre avenir dépend de vous (3) ! Une sorte de « sauve qui peut » idéologique qui annonçait déjà la fin de civilisation de notre titanic société industrielle en train de se briser contre la réalité de sa limite.
Cette injonction a laissé désemparés nombre d’acteurs de l’entreprise qui se sont senti plutôt abandonnés sans idéologie dominante visible (même s’il existe une forte idéologie impensée) un peu livrés à eux-mêmes pour penser leur vie. Pour ceux qui était peu entrainés à l’introspection, est né le besoin d’un guide spirituel du quotidien.
C’est ce besoin auxquels tentent de répondre ceux qui se sont emparé du concept mobilisateur et porteur d’espoirs de « coach ». Ce coach banal, souvent mal formé et sans conscience répond à un besoin de rassurer un client qui n’est pas habitué à se poser des questions, qui n’a pas de contexte prévu pour cela, mais à qui on dit quand même de se débrouiller pour prendre ses décisions. L’urgence dans lequel cela le met, l’incite à être demandeur de réponses et de rassurance plutôt que de remise en question source de confusion momentanée (4).
Le risque de reflet systémique
Ce qu’ils font souvent sans en avoir conscience est le reflet des désirs et des projections qu’ils font sur leur client. La supervision des coachs nous permet de mettre en évidence que tant que le coach n’a pas lâché prise de son désir de réussir et d’avoir un effet sur son client, il ne traite que lui-même. Un coach agité par son désir de réussir est comme l’eau d’un lac sous la brise : trouble et donc incapable de refléter clairement quoi que ce soit.
En supervision le coach ne parle que de lui. Mais pourrait-il parler d’ailleurs ?
C’est un très long travail que de l’amener à considérer sa relation à son client comme objet de travail sur sa manière de projeter ses désirs sur sa mission. La difficulté que le coach apporte en supervision est souvent un reflet de la difficulté qu’il a à gérer sa relation avec son client. C’est souvent une image de la difficulté du client avec son environnement professionnel. La supervision a cette drôle de mission de l’aider à dénouer l’imbroglio des jeux de miroir qu’est sa perception de sa situation en coaching.
Quelles réponses possibles ?
La supervision
La première piste de réponse est évidement la supervision indispensable pour les coaches. Si la formation les initie à quelques gestes de base de la relation elle n’est que la ceinture blanche d’un métier complexe et subtil. C’est la pratique de la supervision qui permettra sa professionnalisation en continu (5) et sans réelle fin.
Du discernement dans l’usage des outils puissants
La prescription du coaching doit nécessairement rester dans le champ de sa puissance. Tous les accompagnements ne sont pas du coaching. Mentor, tuteur, thérapeute, coach, formateur accompagnant, manager accompagnant, chacun son métier, chacun sa mission. Les différentes modalités d’accompagnement ne servent pas toute à la même chose. Chaque forme d’accompagnement se qualifie par la recherche de l’adéquation entre une méthode et une intention. Pour chaque coach se pose la question de savoir si ce qu’il fait servira vraiment l’intention qu’il a et la demande de son client. Pour chaque prescripteur (DRH manager) se pose la question : de quoi a-t-on réellement besoin dans ce cas là ?
Coaching individuel ou accompagnement collectif ?
Le coaching individuel a tendance à satisfaire les besoins en considération et en relation : Quand j’ai bien parlé avec mon coach et qu’il m’a bien écouté, je n’ai plus trop besoin de continuer avec d’autres, maintenant que j’ai pu m’exprimer et que j’ai eu l’impression qu’on s’est réellement intéressé à moi. Utilisé à outrance et sans discernement dans une entreprise, le coaching individuel a tendance à atomiser les relations en intra entreprise.
Il peut mettre en danger la nécessaire dimension collective qui crée du lien, une expérience de réflexion en commun qui est transférable dans le quotidien : quand on a échangé sur un mode analyse de pratiques, on a fait l’expérience d’une autre façon de communiquer avec ses collègues. Une façon aidante.
C’est quelque chose qu’on peut modéliser et transférer sur la vie quotidienne en entreprise. Comme le dise les managers « maintenant quand on parle de nos problèmes entre nous on fait comme pendant les journées de supervision » ou « quand j’ai un problème je m’imagine devant le groupe de supervision et je me demande ce que je dirais et quelle question me poserait l’animateur. C’est une sorte de questions qu’on ne se pose jamais dans le travail ».
Il est nécessaire de réintroduire du commun dans l’accompagnement en entreprise. Notamment pour des individus souvent très seuls dans leurs missions comme les managers. C’est le moyen de leur offrir la possibilité de mettre ensemble en travail, leurs pratiques au travers d’un travail de supervision des pratiques professionnelles (6).
La supervision des pratiques professionnelles est l’outil de l’entretien de la santé professionnelle de ces populations qui sont eux-mêmes leur propre outil de travail : managers formateurs, coaches, éducateurs etc.
(1) Quand des gens intelligents expliquent leurs idées à un orang-outang, cela améliore la qualité de leur prise de décision. » Warren Buffet.
(2) Rejet non-greffé d’un arbre.
(3) C’était le sujet d’un séminaire très intéressant du Cnam en 2004 animé par JM Barbier : l’injonction de subjectivité.
(6) Avec l’analyse de pratiques plus besoin de coach
Voir aussi