Learning expédition chez Clinitex
Interview de Thierry Pick, fondateur de Clinitex
Lundi 11 février 2016, nous sommes accueillis par Thierry Pick, fondateur de Clinitex, qui suggère d’emblée le tutoiement à tous les membres de MOM21. Ce patron, originaire du nord de la France, nous raconte son histoire depuis sa tendre enfance et les valeurs familiales qui l’ont construit.
Non sans humour, un bulletin de cancre projeté sur l’écran, Thierry Pick nous raconte combien son père s’évertuait à valoriser ses progrès sur des bulletins toujours plus calamiteux. De la 6e à la terminale, Thierry fréquenta pas moins de 9 écoles distinctes.
Naissance de Clinitex
Après son DUT, Thierry Pick revend ses guitares pour se financer un voyage de plusieurs mois aux Etats-Unis pour trouver sa voie. Après un séjour passé à buller et à expérimenter la vie plutôt qu’à trouver des opportunités de carrière, Thierry ne peut revenir les mains vides et se doit de tenir sa promesse à ses parents. Il découpe alors in extrémis une publicité d’une entreprise de nettoyage dans le vol du retour. Façon originale de trouver sa vocation, Thierry Pick va jusqu’au bout de son idée et crée la société Clinitex.
Au début, il destine son activité de nettoyage au marché des particuliers. Il ne réalise aucune étude de marché, se procure une 4L bon marché qu’il décore à l’effigie de la marque et achète le matériel le plus vendu chez le grossiste de la région.
Il distribue des tonnes de tracts et attend que le téléphone sonne, en vain.
Les débuts ne sont pas brillants : il fait lui-même le ménage chez de rares particuliers que son père veut bien lui envoyer et ce n’est que plusieurs mois de galère plus tard qu’il se rend aux arguments de Norauto qui lui propose de nettoyer son magasin de Leers. Le travail est bien fait, respectant son besoin de ne pas décevoir le client.
Les prémices d’un management libéré
Dès le début, Thierry Pick s’interroge sur la meilleure façon de manager.
L’embauche d’un premier salarié qui ne produira pas le niveau de qualité attendue chez le client malgré un matériel identique au sien et une formation en bonne et due forme, l’amène à s’interroger longuement : comment puis-je faire en sorte qu’un agent de propreté apporte le même niveau de satisfaction au client que moi avec des moyens de production identiques ?
Son père lui apporte deux éclairages : « si tu fais semblant de me payer, je fais semblant de travailler » et « on ne peut pas travailler comme on avale une purge ». Premiers éléments de réponse : en sus des moyens matériels, un collaborateur doit être reconnu et travailler avec plaisir pour bien servir son client. Ces principes seront appliqués tout au long de sa carrière.
Thierry découvrira ensuite à quel point il est nécessaire de partager l’information en interne avec une complète transparence au sein de l’entreprise. Ce mode de management adopté très naturellement implique déjà une autorégulation des salariés dans un grand nombre de domaine. Ce sont les premières graines du management libéré.
L’entreprise connaît une croissance annuelle à deux chiffres, sans jamais vraiment traverser de période difficile, et Thierry ne rencontre aucune raison valable de remettre en cause ses méthodes originales de management. Pendant toutes ces années, il constate néanmoins des clash réguliers entre ses managers hiérarchiques et les employés, clashs qu’ils ne parvient pas à comprendre. Ce n’est que récemment qu’il trouvera enfin l’explication.
La poule et l’oeuf
Clinitex emploie aujourd’hui plus de 3000 collaborateurs (1700 équivalents temps plein), et réalise 35 millions de chiffres d’affaires. Son mode de management produit donc d’excellents résultats financiers. Thierry est d’ailleurs très clair sur la place du bonheur dans son entreprise et la relation à l’argent et la performance. Ses convictions sont tranchées : la finalité de l’entreprise est sa performance économique pour assurer sa pérennité, et le bien-être au travail est un moyen et non un but, afin de générer la satisfaction du client et par conséquent la performance économique. Il ne doit pas y avoir de confusion, et cette relation de cause à effet est très claire pour tous les salariés de Clinitex. Clinitex a tranché : la poule est à l’origine de l’œuf !
Pendant de nombreuses années, deux modes de management cohabitent : un mode hiérarchique traditionnel (favorisant les jeux de pouvoir) avec un mode de management plus libéré (favorisant les jeux de contributions), le recouvrement des deux donnants lieux à des malentendus relationnels qui surprennent Thierry. Pourtant, d’après ses observations, la confiance tire vers les performances vers le haut alors que l’autorité a tendance à les freiner.
La prise de conscience
Un soir de février 2015, Thierry visionne le documentaire de Martin Meissonnier sur « le bonheur au travail » sur Arte. Il prend alors conscience d’avoir pratiqué pendant plus de 30 ans un management libéré. Encouragé de voir qu’il n’est pas le seul, et que ces organisations sont reconnues pour leur efficacité et le bonheur qu’elles procurent à leurs salariés, il décide d’aller plus loin et de faire de Clinitex une véritable « entreprise libérée ».
Thierry Pick réunit rapidement ses cadres et provoque une incompréhension générale en annonçant la prochaine libération de l’entreprise (qui l’était déjà à 90%)). Les équipes sont alors fortement déstabilisées et plongées brutalement dans l’inconnu, avec toutes les peurs que cela engendre. La situation ne se stabilisera que 6 mois plus tard. La chasse au management par l’autorité et l’affirmation d’un management par la contribution provoque des remises en cause qui se traduisent par le départ de 5 membres du Codir. Il décide alors de soumettre la question de leur remplacement aux salariés concernés qui répondent unanimement par la négative. Et c’est ainsi que DAF, DRH et d’autres fonctions de direction régionale quitteront progressivement de l’entreprise, trop déstabilisés par cette prise de conscience collective qui va les sortir naturellement (et avec le plus grand respect) du système.
Thierry Pick parle de son entreprise comme un ensemble de jardins ouvriers, avec ses agences régionales très différentes les unes des autres. Ces dernières n’avancent pas toutes au même rythme dans leur évolution et il ne sert à rien de forcer. La diffusion vient par la base, en mode bottom up par un management infiltrant.
La boussole
Thierry aime la métaphore et parle de son management comme d’un chemin dont il ne connaît pas la destination ni le tracé. Il se guide à la boussole, instrument et repère indispensable aux salariés en toutes circonstances.
La direction de la boussole est donnée par la vision et les valeurs qui constituent pour les salariés, leurs repères et les limites du terrain de jeu ; celles-ci furent écrites il y a 4 ans lors d’un séminaire de trois jours auquel ont participé une centaine de collaborateurs; la charte faisant la synthèse des éléments produits par tous, et représentant la vision et les valeurs a été écrite par Thierry et son fils Edouard. Elle figure dans toutes les salles de réunions, à côté des règles de fonctionnement à respecter.
Les boites de chocolat
Nous interrogeons Thierry Pick sur les indicateurs qu’il suit pour piloter son entreprise et nous découvrons avec surprise la courbe du volume de boîtes de chocolats distribués au cours de l’année.
L’explication n’en est pas moins surprenante : chaque fois qu’un salarié reçoit une feuille de paye comportant une erreur (ce qui peut être courant dans une entreprise qui emploie 70% de salariés à temps partiel affectés le plus souvent à plusieurs sites), le responsable de l’erreur envoie une boîte de chocolat au salarié victime de l’erreur avec un petit mot pour s’excuser. 150 boites envoyées en 2015 environ, mais le graphique « boites de chocolat » affiché montre un bon début d’année avec seulement 7 boites envoyées en janvier.
Cet indicateur est important : un des objectifs majeurs du service paie est de payer le plus vite possible les salaires. La fiche de paie est un point de contact stratégique avec nos agents, elle doit être la 1ère des marques de respect et de reconnaissance. « Nos agents de propreté sont également nos ambassadeurs, ils doivent pouvoir dire qu’ils travaillent dans une bonne boite ».
Pour Thierry Pick un bon leader possède trois qualités essentielles: humilité, courage, et amour des autres (ou capacité à donner sa confiance). « Je me suis toujours considéré comme un serviteur, sans privilège, ni grosse voiture ni place de parking réservée, ni grand bureau et fauteuil en cuir » déclare-t-il. Il avoue s’être laissé aller durant quelques années avec un gros 4×4, sans doute la trace de sa passion pour les rallyes tout-terrain (il a 3 Paris-Dakar en moto à son actif).
Les « bravos » et les « cadenas »
Autre indicateur suivi par Clinitex : les « Bravos ». Chacun peut décerner un « bravo » (un chèque de 50€) à un salarié qui a fait quelque chose de très exceptionnel pour un client, comme cette femme de ménage qui fleurit le comptoir de l’entreprise d’un client ou cette autre qui a envoyé 17 cartes de vœux à chacun des employés d’une agence du Crédit du Nord.
Les cadenas représentent une symbolique des jeux de pouvoir. Sur le pont des Arts à Paris, ils sont le symbole d’une merveilleuse intention. Ils représentent l’amour. Mais leur accumulation a fini par affaiblir l’édifice et risque de détruire le pont, il a donc fallu les faire sauter ; cette métaphore est utilisée fréquemment au sein de l’entreprise car elle parle à tout le monde. Tels les petits cailloux de Chronoflex, les cadenas de Clinitex sont des règles posées au départ dans une bonne intention mais dont l’accumulation a fini par empêcher les gens de travailler. Faire sauter ces cadenas, tels les temps de pause fixes pour les personnels de bureau ou les procédures de validation des notes de frais, est indispensable à la libération des énergies.
Une transparence complète des informations
La contrepartie de la suppression des cadenas est l’ouverture des fenêtres : une totale transparence des informations, y compris financières.
Ainsi tous les mois, les managers passent en revue les frais de fonctionnement de tous les postes avec tous les participants concernés. Les notes de frais de chacun sont alors visibles par tous au sein d’une agence. Ce partage est réalisé de manière bienveillante. Il n’existe aucun seuil ni limite de dépense, du moment qu’elle est engagée dans le cadre de la vision et des valeurs de l’entreprise, et que celui qui les engage peut les partager avec l’ensemble des équipes.
Cette transparence de l’information va également jusqu’à l’affichage sur l’intranet des grilles de rémunération par poste et coefficient. La rémunération comprend une part fixe ainsi qu’une part variable ; la part variable est elle-même décomposée en deux volets : une part collective ou d’équipe et une part individuelle. La part fixe et la fourchette des parts variables ainsi que la moyenne sont affichés sur le site. Les informations ne sont pas nominatives mais elles sont suffisamment complètes pour que chacun puisse se situer. Le salaire de Thierry Pick est d’ailleurs connu de toute l’entreprise. Les objectifs son fixés par les équipes elles-mêmes et les primes sont déclenchées à plus où moins 10 % de l’atteinte des objectifs.
Les réunions de Clinitex
Dans la salle où nous nous trouvons, se trouve affichée la liste des 5 tueurs de la communication :
- l’ironie et la dérision : méfiez-vous de leur puissance de destruction souterraine,
- la parole coupée : ne pas être écouté est frustrant et vous laisse un goût amer de non existence,
- les apartés : ils parasitent la discussion et vous font perdre votre concentration,
- la violence verbale : ne transformez pas vos échanges en oppositions de personnes,
- les jugements de valeur personnels : prenez garde à ne pas faire de vos arguments des jugements de valeur personnels.
Les règles du jeu sont rappelées et explicitées chaque fois que nécessaire, nous en ferons d’ailleurs l’expérience pendant notre visite, preuve que ce fonctionnement est devenu un réflexe et n’est pas là pour faire bonne figure sur le mur.
Pas d’ordre du jour de réunion
Chez Clinitex, il n’y a jamais d’ordre du jour, au mieux une thématique; Ainsi les sujets les plus importants émergent naturellement lors du tour de table parce qu’ils correspondent aux préoccupations immédiates des participants; “les sujets importants selon moi ne sont pas forcément ceux qui sont importants pour mon voisin “.« Qui veut prendre la parole ?» Seront les premiers mots de chaque réunion; La parole est libre et l’écoute bienveillante.
Pas de compte-rendu de réunion
Chacun est libre de prendre des notes et les participants sont chargés de faire leur propre débriefing auprès de leurs équipes ; cela leur permet de dialoguer sur les points qui ont été traités en réunion.
Entre et sort qui veut d’une réunion
Personne n’est considéré comme arrivant « en retard » ; la seule chose qui est demandée est de ne pas troubler les conversations en cours, de faire preuve de discrétion, charge à ceux qui sont déjà présents de faire un court débriefing à leurs collègues. Quelque soit le nombre de participants présents une réunion démarre à l’heure dite.
Les valeurs de l’entreprise, définies il y a 5 ans par l’ensemble des fonctions supports (les agents d’entretien étant déjà libérés), sont autant de repères au quotidien pour fonctionner librement dans un cadre qui fixe les limites de chacun.
Tels des interrupteurs (on/off), ils permettent de savoir si on est dans les clous ou non vis à vis de ses collègues. Parmi elles, on retrouve : le respect, l’esprit d’équipe, l’audace, la confiance, l’engagement, la responsabilité et la bonne humeur.
Pour conclure, nous souhaitons vous faire partager la vision de Clinitex, telle le rêve partagé de Favi. Elle est une jolie manière de rendre ses salariés fiers de leur métier et de leur belle entreprise :
« Heureux de rendre service pour faire de Clinitex la plus belle boîte de France ! »
Pour MOM21, Fanny Escande et Louis de Fouchier
Author: Fanny Escande
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