Les accompagnateurs sociaux, des cordonniers mal chaussés.
La souffrance des travailleurs sociaux
La faiblesse des moyens alloués à l’action sociale face à l’ampleur des problèmes rencontrés, sont souvent une source de souffrance importante pour les travailleurs sociaux.
On peut comprendre cette souffrance comme l’expression de leur difficulté à percevoir les résultats positifs de leur action. En effet, rien n’est plus désespérant de ne pas pouvoir vérifier que ce que l’on fait a un effet sur le monde.
Les conditions de la santé psychique
Une des conditions de la santé psychique des individus est d’avoir la preuve évidente que ce que l’on fait a un effet sur son environnement. C’est ce que montre Yves clos, c’est plus le travail empêché et la sensation de ne pas pouvoir s’accomplir qui produit de la souffrance au travail au sens de Christophe Dejours.
L’action sociale apparaît souvent comme un tonneau des danaïdes : un vide impossible à combler, une action jamais achevée.
Différents sens de la souffrance au travail
Souffrance est à prendre ici dans le sens classique qui s’origine dans le latin : « Sub ferere » supporter (qu’on retrouve dans l’expression : je ne peux pas le souffrir). Qui indique qu’on a à porter une charge difficile à porter.
Ce qui est difficile à porter c’est parfois le sentiment d’échec qui chatouille le désir de toute puissance présent en chacun de nous d’une manière plus ou moins prégnante.
Mais on peut aussi le prendre dans le sens « postal » du mot souffrance : « un colis en souffrance » : un colis en attente parce que mal adressé.
La souffrance vient souvent du sentiment d’être « en attente » c’est à dire : arrêté dans son action par quelque chose sur laquelle on n’a pas de prise. C’est le fait qu’ils ont des attentes en terme de réussite qui les condamne à être en attente, en souffrance sans savoir vers quoi adresser leur énergie, leur désir d’agir et leur besoin d’avoir un effet sur le monde qui est leur principale raison d’être comme tout un chacun.
Les critères de réussite : prendre du recul
En réalité, cette situation est une source de souffrance tant qu’on a comme critère de réussite l’accomplissement de sa tache d’assistance au plus démunis. C’est aussi le cas des enseignants spécialisés dans les quartiers dit « difficiles ». Le contexte dans lequel ils sont amenés à agir et les moyens qu’on leur donne ne laissent présager que peu de résultat potentiel. On voit bien à contrario, au travers de certaines expériences pédagogique « disruptives » que c’est bien la façon de s’y prendre qui fait perdurer la situation d’échec des enfants. Avoir comme critère de sa compétence la réussite des enfants est le plus sur moyen de s’enfoncer dans la désespérance et la souffrance.
Mise en incompétence
Au fond, on peut considérer les enseignants comme les travailleurs sociaux qui sont mis en incompétence par le système dans lequel ils sont amenés à agir (1) .
Les travailleurs sociaux aimeraient tellement sauver le monde, mais les situations qu’ils rencontrent sont souvent impossibles à dénouer. Ce n’est souvent pas dans le comportement des personnes qu’ils accompagnent que les travailleurs sociaux peuvent avoir la preuve de leur efficacité, de leur puissance.
Réassurance et finalité de la supervision
Ils ont un irrépressible besoin d’être rassuré, de se rassurer pour pouvoir continuer à avancer dans leur travail.
Le travail de supervision des travailleurs sociaux a pour finalité de leur permettre de mesurer ensemble les effets induits de leur action. C’est aussi un moyen de leur permettre de réfléchir à la manière dont ils prennent des décisions et la manière dont ils évaluent ces décisions.
Ils se posent souvent à priori la question :
– Ai-je raison d’envisager d’agir ainsi ?
– Et à postériori : Ai-je eu raison de faire comme ça ?
Mais au-delà de l’aspect rassurance et élaboration de solution, la fonction de la supervision est de leur donner le recul nécessaire pour comprendre ce dont ils sont les enjeux.
Prise de recul systémique
La supervision a comme finalité de proposer aux travailleurs sociaux de prendre un recul systémique qui leur permet de prendre conscience des doubles contraintes dans lesquels ils sont, et de ce qui se joue au delà des apparences et des enjeux à court terme. La réflexion sur leur métier leur permet de comprendre la finalité réelle de leur action : au service de qui et de quoi sont ils réellement ?
C’est normal qu’ils aient l’impression de ne pas être efficace auprès des publics qu’ils traitent parce qu’ils ne sont pas au service des bénéficiaires mais de la société.
Si on regarde les effets sur les bénéficiaires on a du mal à percevoir des résultats à la hauteur de l’énergie investie et du peu de moyen alloué à leur action sociale.
Mais si on considère qu’ils sont au service de la paix sociale on constate qu’ils arrivent plutôt bien à contenir le désespoir des bénéficiaires afin d’éviter les dérives les plus graves, les démarches désespérées et la violence qui devrait s’emparer de toutes les personnes vivant des situations semblables sans accompagnement.
Les travailleurs sociaux, agents de la paix civile
En ce sens ils réussissent plutôt bien. Comme agents de la paix civile ils réussissent plutôt bien si on mesure leur efficacité à l’aune des moyens qu’on leur alloue.
L’accompagnement des travailleurs sociaux a donc cette double finalité :
- Leur offrir un espace de questionnement sur eux, leurs souffrances et leurs interrogations : ce qu’Yves Clot appelait un « coussin compassionnel » qui permet de se rassurer.
- Au-delà de panser leurs blessures d’espoir c’est aussi et surtout un moyen de leur permettre de penser leurs souffrances. Leur donner l’occasion de prendre le recul nécessaire pour leur permettre de comprendre comment leurs attentes mal adressées sont leurs principales sources de souffrance.
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