Situées à proximité de Rennes, ces deux sociétés (35 salariés) qui appartiennent au même actionnaire privé, sont dirigées par David Calvez ; il a spontanément accepté de nous recevoir toute une journée pour une learning expedition avec ses proches collaborateurs, Ludovic, ancien responsable d’atelier devenu animateur de cohésion d’équipe pour l’atelier de peinture API (Atelier de Peinture Industrielle) et Céline, animatrice en amélioration continue pour l’atelier de métallerie industrielle AMI (Atelier de Métallerie Industrielle).
Il faut rentrer dans le cœur de leur activité (secteur découpe, pliage, soudure, et peinture thermo laquée) pour comprendre le sens de leur évolution.
Ce sont d’abord Ludovic et Céline qui nous reçoivent toute la matinée pour témoigner de leur histoire. David, affairé sur une urgence, nous rejoindra pour le déjeuner, Ludovic le remplace au pied levé avec la plus grande simplicité et une apparente sérénité. Nous sommes 6 membres de MOM21 à nous déplacer : 3 du cercle « suivi des entreprises libérées », les 3 autres participants sont des adhérents de la région Pays de Loire-Bretagne qui nous ont rejoint pour l’occasion.
Chez AMI API, pas de grand saut en parachute ni de grande messe ou l’on réunit tout le monde pour expliquer ce qui va se passer. David (avec le soutien de Ludovic) a commencé par instiller des actions concrètes qui ont amené chacun à prendre plus d’autonomie. Le point de départ de la démarche est le besoin impératif de souplesse et d’agilité : des actions terrains sont menées les unes après les autres, en prenant bien soin de donner le sens de chacune d’elles, sans vision du projet d’ensemble au démarrage. « On fait avant de dire », les actions précèdent la parole. Les explications viendront ensuite, lorsque suffisamment d’actes auront été posés afin de mettre en perspective ce qui est en train de se passer et dans quel esprit s’inscrit cette démarche.
Le moment venu (après plus d’un an), une conférence de Jean-François Zobrist est organisée dans l’atelier avec tous les salariés et 270 invités (clients, fournisseurs, réseau). Un moment unique de partage et d’intense émotion que personne n’est prêt d’oublier.
Voir la vidéo et les photos de la conférence de Jean-François Zobrist chez AMI-API
Le secteur d’activité de la tôlerie fine n’offre que très peu de visibilité de planning (3 semaines pour AMI, 3 jours pour API), et de prévision de charge (du simple au double d’une semaine sur l’autre). Cette particularité nécessite une extrême agilité pour être à même de satisfaire des clients de plus en plus exigeants. Le nombre important de clients est également une contrainte importante : 200 clients dans tous secteurs d’activité.
Le secteur subit de fortes pressions sur les tarifs au détriment de la qualité. C’est en partant de cette analyse de marché et de sa relation de proximité avec les clients que David Calvez comprend les enjeux d’agilité (suppression des relais d’information) et de simplicité (suppression des relais de décision et de contrôles inutiles) pour pouvoir relever les défis que lui lancent ses nouveaux clients : une qualité de finition irréprochable (il s’agit de tôlerie fine de précision), un esthétisme soigné des pièces fabriquées, une très haute technicité pour usiner des pièces haut de gamme, tout en respectant précisément les délais de livraison. Aucun défaut n’est toléré, surtout pour des clients du secteur médical hospitalier ou des grandes franchises qui exportent le luxe à la française.
Comment faire face à tant d’exigences ? Nous allons comprendre comment ils réussissent ce challenge. Et ce, sans gamme opératoire ni service qualité ni certification – en travaillant pour les plus grands, qui en redemandent.
L’homme est bon (très « Zobristien »), intelligent, c’est un professionnel, il sait s’organiser, il sait être responsable, on ne peut pas le motiver, il sait faire autre chose que son métier avec pour point d’entrée de toutes ces convictions : la confiance.
Alors comment se manifeste la confiance chez AMI API ? Par des actes concrets au quotidien :
Tous ces éléments participent à une plus grande agilité de l’entreprise : nul besoin de service ordonnancement ou de planning, ni de responsable RH, encore moins d’acheteur ou de responsable des approvisionnements, plus de chef d’atelier non plus, les équipes autonomes font au plus proche du besoin et les opérateurs sont ainsi totalement responsabilisés.
David Calvez s’est doté d’une voiture de course, qui sait accélérer et décélérer très vite, sans à-coup ni manœuvre en force. Avec le temps gagné sur les affaires courantes, il peut se concentrer sur le moyen long terme et préparer l’avenir de sa société. Ludovic, ex responsable d’Atelier, prend à présent une journée par semaine pour rappeler les clients et prospecter, ouvrant de nouvelles perspectives commerciales pour l’atelier. Le cercle vertueux est manifeste, les actions payent très vite, même si tout le monde n’avance pas à la même vitesse.
L’entreprise est maintenant construite avec d’un côté les collaborateurs qui gèrent les clients et les affaires et de l’autre les collaborateurs qui produisent (entre les deux : rien)
La responsabilisation est portée par leur capacité à être en méta action en permanence. Quelqu’un a une idée ? Il l’a met en place, c’est aussi simple que cela, avec une méta règle « c’est celui qui sait qui fait ». Quand on ne sait pas, on ne fait pas, on demande. Mais quand on sait, aucune raison de ne pas s’exécuter. L’action prime sur la réflexion, si on réfléchit trop, on ne fait pas. On adopte donc l’habitude de faire tout de suite, quitte à rectifier si cela ne s’avère finalement pas pertinent. Chez AMI API, c’est comme cela qu’on avance, et vite.
Les opérateurs s’auto organisent, s’auto dirigent et s’auto contrôlent sans responsable d’atelier: de petits smiley vert pour indiquer qu’un lot est complet et prêt à l’expédition, un smiley rouge dans le cas contraire.
Le client est mis au cœur de l’atelier, le mur des bonnes nouvelles collectionne les mails des clients satisfaits de la qualité des produits livrés et des délais de livraison. Des photos de la destination des produits sont aussi collées pour témoigner de l’usage fait des outils fabriqués.
Les valeurs ont été définies suite à un incident qui leur a démontré la nécessité d’en définir pour chaque entité. RARE pour API : Respect, Agilité, Reconnaissance et Etat d’esprit. FREE pour AMI : Fraternité, Respect, Equité et Etat d’esprit.
Chaque entité a défini les siennes pour prendre en compte les spécificités de chacune, sans qu’il y ait de dissonance. Les employés s’appuient sur elles en cas de doute sur une décision, tant en interne qu’avec les clients ou les fournisseurs.
C’est un véritable outil d’aide à la décision et au bon fonctionnement de l’entreprise et non pas un slogan qu’on laisse au placard ou qu’on oublie en quelques semaines.
Quel regard portent-ils sur le chemin parcouru ?
Quand on demande à nos interlocuteurs si ce processus de libération a été facile, la réponse est clairement négative ; difficile, compliquée, exigeant, énergivore, mais de réelles satisfactions :
Chez AMI API, on est frappé de voir les salariés « tout à leur travail », des sourires sur les visages, de n’entendre ni complainte ni papotage inutile, on sent chacun concentré sur sa tâche. Nous avons également la surprise de découvrir deux jeunes femmes, l’une au poste de soudure et l’autre à la peinture. Toutes deux sont issues d’un monde administratif, avec une vie de bureau, et vivent avec un bonheur non dissimulé cette reconversion quelque peu inattendue. AMI API accorde une importance à la diversité des parcours et des origines.
Des actions sont également menées en matière de responsabilité sociétale, avec de multiples initiatives des salariés pour réduire les dépenses énergétiques dues à la cuisson des peintures. L’achat de quelques briques réfractaires utilisées dans les fours à pain permettra d’obtenir des résultats stupéfiants : pour 1k€ de chiffres d’affaires, il fallait dépenser 83€ de gaz en 2007, aujourd’hui il suffit de 25€ seulement. Des actions similaires sont menées en mode participatif sur la consommation des emballages. Les finances de l’entreprise y gagnent aussi !
Ludovic, l’ancien responsable d’atelier devenu animateur, nous confiait « qu’auparavant, la réunion de synchro pour organiser le travail du lendemain prenait plus de 30 mn, aujourd’hui, seulement 10mn sont nécessaires » ; La tendance est à la pluridisciplinarité et à l’alternance des postes, tout ce qui permet d’alléger la pénibilité du travail est mis en place et confié à la machine, sans réduction de personnel à la clé. Le but est aussi d’absorber les pics de charge.
Pour assurer la polyvalence des employés, le budget annuel consacré à la formation est très élevé par souci permanent de progresser en technicité et professionnalisme.
Des achats ingénieux sont réalisés sur l’initiative des salariés pour améliorer la productivité et supprimer « les petits cailloux » du quotidien. La débrouillardise est de mise pour s’équiper des meilleures machines au meilleur prix (achat sur leboncoin.fr).
À tous ceux qui pensent qu’une entreprise doit aller mal pour faire la bascule, AMI API est la preuve contraire : alors que tout allait bien et que l’entreprise était performante, David Calvez a eu cette audace folle et courageuse de croire qu’on pouvait diriger une entreprise autrement en rendant ses collaborateurs autonomes et responsables, en leur faisant confiance et en les considérant comme des adultes tout simplement. Il est aujourd’hui récompensée pour cette audace, au-delà même de ce qu’il imaginait.
Nous leur souhaitons bonne route sur leur chemin et nous sommes confiants dans leurs perspectives de développement, que tant d’énergie et de professionnalisme ne manqueront pas de favoriser à l’avenir. AMI API incarne parfaitement le fameux proverbe africain : tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin !
Un immense merci à toute l’équipe pour leur transparence, l’authenticité de leurs témoignages et leur générosité.
Auteur : Pour MOM 21, Fanny Escande et Carole Laubry
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